« Il Giasone » de Francesco Cavalli : un ouvrage poétique, sensuel et rêveur

par Marc Portehaut

Après Erismena, l‘Opéra Royal proposait les 9 et 10 mars 2018 un autre ouvrage de de Francesco Cavalli : Il Giasone. Cet opéra, qui fit la grande renommée du compositeur vénitien, est présenté ici dans la production du Grand Théâtre de Genève de 2017.

La Couronne de France  — Mazarin, ce qui revient au même —  a eu le bon goût dans les années 1660 de faire appel à Francesco Cavalli (1602- 1676) pour écrire une des musiques qui devait être donnée à Paris à l’occasion du mariage de Louis XIV.
C’est ainsi que verra le jour Ercole Amante créé à Paris en 1662.

La notoriété du compositeur dépassait alors déjà largement les frontières de l’Italie et s’étendait à l’Europe entière. Il n’était donc que justice de monter un de ses chefs d’œuvre à Versailles, « chez Lully », le compositeur attitré de Louis XIV, comme l’a rappelé avant le spectacle le directeur musical de la production : le chef argentin Leonardo García Alarcón.

Plus de 360 ans après sa création, ce Dramma musicale, sur un livret du florentin Giacinto Andrea Cicognini (1606-1650) créé à Venise le 5 janvier 1649 n’a pas pris une ride.

Il Giasone, c’est le personnage antique de « Jason » qui ambitionne de conquérir la Toison d’Or et la main de Médée, petite-fille du Soleil, mais qui rencontrera quelques difficultés à réaliser ses projets.
Dès le lever de rideau notre héros va être possédé par l’Amour, personnage clé de l’ouvrage. La passion que ce dernier va faire naître en son cœur pour la jolie Isifile, sera à l’origine de bien des tourments et fournira le prétexte à des rencontres, des conflits de dupes, et bien d’autres choses encore.

L’ouvrage cumule donc rebondissements, duos amoureux, scènes de « sommeil » (comme Cavalli en avait le secret, et Lully saura s’en souvenir), rencontres terribles avec les démons, affrontements et manipulations diverses. Il faudra près de 3h30 de sublime musique (environ 4h30 si l’on s’en tient à la lettre de la partition originale) dont pas une minute d’ennui, pour que ce « drame musical » se conclue en une fin heureuse pour tous.

Le spectacle est une totale réussite grâce, tout d’abord, à une distribution irréprochable : le contreténor Valer Sabadus, légèrement souffrant lors de la représentation du 9 mars, tire parti, dans le rôle titre, de sa fragilité vocale passagère pour accentuer les désarrois amoureux et les autres ambiguïtés de son personnage, balloté entre deux femmes farouchement amoureuses de lui.

Kristina Hammarström, magnifique mezzo-soprano, incarne avec gravité et panache la figure dominante et solitaire de Médée, tandis que Francesca Aspromonte est une belle Isifile, la femme légitime  de Jason, tout en élans de tendresse et d’amour pour son mari inconséquent.
Le ténor Raul Gimenez campe joliment le mari bafoué de Médée, Egée, et lui donne un profil de vieux beau éconduit et pathétique. On retiendra bien sûr le timbre chaleureux d’Alejandro Meerapfel dans le rôle d’Oreste, charmeur désinvolte et quelque peu désabusé, sans oublier les bégaiements  d’une folle drôlerie de Migran Agadzhanyan(Demo).

Les rôles masculins d’Ercole, « Hercule » (Taras Berezhansky) et de Basso (Günes Gürie) ont une belle solidité vocale et scénique, de même que Mariana Flores (Alinda) et Mary Feminear, qui incarne avec malice le délicieux Amour.
Cette revue de distribution serait évidemment incomplète si on omettait Dominique Visse en incontournable Delfa (la nourrice), rôle travesti à la mesure de son talent,  qu’il interprète avec un abattage scénique et une santé vocale impressionnants.

Réussite totale de la mise en scène de Serena Sinigaglia, associée à Ezio Toffolutti pour les sublimes décors et costumes, et à Simon Trottet pour la subtilité des éclairages. En effet, la mise en scène a le mérite de rendre claire une intrigue qui pourrait désorienter : elle fait parler un érotisme parfois cru, mais vulgarité  — le rire n’est jamais loin — et fait partager avec humour un bonheur lyrique sans hystérie.

La direction musicale impériale de Leonardo García Alarcón, toujours attentif, sensible et précis, a le don d’emmener les instrumentistes de la Cappella Mediterranea et les chanteurs dans un tourbillon de couleurs, de verve, de truculence et d’humour, pour un spectacle imprégné de bout en bout d’une rêverie poétique et sensuelle. Que du bonheur !

 

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IL GIASONE di Francesco Cavalli

Dramma musicale en un prologue et 3 actes sur un livret de Giacinto Andrea Cicognini.

Créé le 5 janvier 1649 à Venise
Version remaniée par Leonardo García Alarcón
Production:  Grand Théâtre de Genève

Opéra Royal du Château de Versailles
Vendredi 9 mars 2018
Samedi 10 mars 2018

Distribution:
Valer Sabadus: Giasone
Kristina Hammarström: Medea
Francesca Aspromonte: Isifile/Sole
Taras Berezhansky: Ercole
Günes Gürle: Besso
Raul Gimenez: Egeo
Alejandro Meerapfel: Oreste/Giove
Migran Agadzhanyan: Demo/Volano
Dominique Visse: Delfa/Eolo
Mariana Flores: Alinda
Mary Feminear: Amore

Cappella Mediterranea
Leonardo García Alarcón: Direction
Serena Sinigaglia: Mise en scène
Ezio Toffolutti: Décors et costumes
Simon Trottet: Lumières