Alessandro Scarlatti: Passio secundum Johannem

Par Alexandre

La « Passio selon Saint-Jean » d’Alessandro Scarlati éclaire enfin l’écriture sacrée italienne de la fin du XVIIè, à Naples et à Rome, dans le sillon palermitain tracé par le modèle entre tous, Vincenzo Amato, oncle paternelle de notre Alessandro et auteur de deux Passions particulièrement convaincantes, propres aux années 1660. Aujourd’hui les dernières recherches tentent à dater le manuscrit de Scarlatti de 1685, alors âgé de 25 ans ; le jeune auteur y reste stylistiquement influencé par la Passion selon Saint-Jean contemporaine de Veneziano, successeur de Scarlatti à la fonction de directeur de la Capella Real de Naples en 1704. Les Lamentazioni pour la Semaine Sainte de Scarlatti et les Lezioni de Veneziano offrent une parenté d’écriture, encore plus manifeste entre les deux compositeurs, preuve éloquente de leur interaction contemporaine.

La Passio de Scarlatti malgré une préoccupation évidente de caractérisation des personnages évangéliques, n’atteint pas la force voire l’exubérance du drame de Veneziano. Le Scarlatti qui nous intéresse ici, est celui flamboyant et victorieux à Naples, décrochant devant l’illustre et pourtant incontournable Provenzale, le fonction suprême de maître de Chapelle le 17 février 1784 à Naples. Protégé par le vice-roi lui-même, Alessandro Scarlatti s’imposait ainsi, à l’opéra comme dans le registre sacré. S’il excelle dans le traitement dramatique à l’opéra, il sait aussi se contenir, avec intelligence, comme l’indique de façon naturelle sa Passion selon Saint-Jean.

Contrairement à la tentation de ses « rivaux » contemporains, Scarlatti demeure très sobre, soucieux d’une tension continue, surtout incarnée et portée par l’ample contralto du Testo (Evangéliste), par lequel se réalise l’action, conçue en une succession de courts épisodes, chacun idéalement caractérisé. Dans ce traitement à la fois violent et tempéré du drame de la Passion, la figure du Christ / Christus est incarnée par une basse noble, imperturbable, d’une inflexible « douceur » (gravitas) quelles que soient les épreuves et les attaques (en particulier de la foule souvent hystérisée : écriture homorythmique agressive). L’acmé en serait évidemment l’ultime phrase de Christus dans l’épisode de la Flagellation : mélisme descendant (« Consumtum est »). La force et la violence de la scène sont d’autant plus impressionnantes et expressives qu’elles sont servies par un Scarlatti d’une étonnante sobriété là encore.
Face à lui, l’orchestre façonne comme le chant d’une vaste lyre uniquement constituée de cordes (Millenium orchestra dont le premier violon est l’excellent Manfredo Kraemer), dont la vibration continue inscrit le drame dans l’épopée mesurée certes mais hautement tragique et émotionnellement forte. Le consort de cordes sait respirer, s’alanguir, souligner l’accomplissement du désespoir le plus déchirant (quand le Christ expire sur la Croix, sa tête s’inclinant avec l’expiration du dernier souffle). Les cordes marquent un silence riche en émotion… répondant d’ailleurs aux annotations de Scarlatii lui-même.
Comme pour souligner l’intensité primitive du drame sacré, tout en accusant sa grande intensité poétique comme l’enseignement mystique que l’auditeur est invité à rechercher par lui-même, Alarcon ajoute ici plusieurs Responsori (méditations), extraits du recueil scarlattien de 1705 (conservé à Bologne; et qui regroupe plusieurs pages de Scarlatti de périodes différentes). Belle éloquence collective (excellents choristes du Choeur de chambre de Namur), relief canalisé des solistes choisis, continuo ardent, vif, et pourtant d’un très bon équilibre sonore, à la fois expressif et détaillé… voilà autant d’arguments pour une lecture à la fois méditative et haletante de la Passion. La cohérence, l’unité, la justesse poétique des troupes réunies autour de leur chef, savent ressusciter avec passion, le drame sacré d’Alessandro Scarlatti, à la fin du XVIIè. Voilà qui nuance l’idée d’une école napolitaine, étrangère à toute introspection recueillie, unique école de la virtuosité séductrice.

CD, compte rendu critique. ALESSANDRO SCARLATTI (1660-1725) : PASSIO SECUNDUM JOHANNEM. Giuseppina Bridelli (Testo), Salvo Vitale (Christus), …, Millenium Orchestra, Choeur de Chambre de Namur. ,Leonardo García Alarcón, direction. 1 cd Ricercar — enregistrement réalisé en mars 2016 (Sint-Truiden, Belgique).

http://www.classiquenews.com/cd-compte-rendu-critique-alessandro-scarlatti-passio-secundum-johannem-alarcon1-cd-ricercar-2016/